13

— Susan ?

Elle ouvrit les yeux. Jeff McGee l’étudiait, les sourcils froncés.

Elle lui sourit.

— Salut.

Il lui retourna son sourire.

— Comment vous sentez-vous ?

Sa voix lui paraissait lointaine et très grave, comme si elle écoutait un quarante-cinq tours posé sur une platine réglée sur trente-trois.

— Pas trop mal, répondit-elle.

— J’ai appris qu’il y avait eu un nouvel épisode.

— Ouais.

— Vous désirez m’en parler ?

— C’est sans intérêt.

— Je suis certain que votre récit me passionnerait.

— Ce dont j’ai besoin, c’est de dormir.

— Vous avez dormi.

— Un peu… par moments.

Jeff se tourna vers une personne qui se tenait de l’autre côté du lit.

— Qu’a-t-elle fait, depuis ?

— Elle a sommeillé, répondit Mrs Baker.

— Je suis fatiguée, murmura Susan.

Jeff McGee la regarda. Il fronçait toujours les sourcils.

Elle lui sourit et ferma les yeux.

— Susan.

— Hmmmm ?

— Vous ne devez pas vous rendormir tout de suite.

— Un petit moment, je vous en prie.

Elle avait l’impression de dériver dans une mer chaude. Il était si agréable de se sentir à nouveau calme et détendue.

— Non, vous devez me parler.

Il toucha son épaule et la secoua doucement. Elle ouvrit les yeux et sourit.

— Vous ne devez pas fuir. Vous le savez.

— Le sommeil n’est-il pas réparateur ?

— Pas maintenant. Elle ferma les yeux.

— Susan ?

— Tout à l’heure, murmura-t-elle. Tout à l’heure…

 

*

* *

 

— Susan ?

— Hmmm ?

— Je vais vous faire une piqûre.

— D’accord.

— Pour vous soulager et vous réveiller un peu.

— D’accord.

Un contact froid. L’odeur de l’alcool.

L’aiguille pénétra dans son bras et la fit tressaillir.

— Voilà, c’est terminé.

— D’accord.

— Ça va aller mieux.

— D’accord.

 

*

* *

 

Susan s’assit dans son lit.

Ses yeux irrités la brûlaient. Elle les frotta du dos de la main. Jeff McGee sonna une infirmière et demanda un collyre qu’il mit lui-même dans les yeux de Susan. Les gouttes étaient fraîches et apaisantes.

Elle avait un goût amer de métal dans la bouche. Jeff lui donna un verre d’eau. Elle le but mais l’amertume subsista.

Susan se sentait un peu irritée contre Jeff qui avait interrompu son sommeil.

— Que m’avez-vous administré ? demanda-t-elle.

— Du méthylphénidate.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Un stimulant, indiqué dans les cas de dépression profonde.

— Je n’étais pas déprimée, j’avais seulement sommeil.

— Susan, vous étiez en train de vous replier totalement sur vous-même.

— J’avais sommeil, je vous dis, rétorqua-t-elle.

— En phase narcoleptique de dépression, insista-t-il avant de s’asseoir sur le lit. Je veux que vous me disiez ce qui s’est passé dans ce réduit.

— Est-ce vraiment indispensable ?

— Oui.

— Tout ?

— Tout.

Elle était bien éveillée. Si elle avait souffert d’une forme de dépression l’incitant à chercher le salut dans le sommeil, c’était du passé. Elle se sentait en pleine forme, et même un peu énervée.

Elle pensa à Ernest Harch et à la tête tranchée.

Elle frissonna et trouva du réconfort dans le sourire de Jeff.

— Tout le monde assis autour du feu de camp, les enfants. Je vais vous raconter une histoire d’épouvante.

 

*

* *

 

Son dîner fut servi une heure plus tard que d’habitude. Elle n’avait pas d’appétit mais Jeff insista pour qu’elle mange. Il resta auprès d’elle afin de s’assurer qu’elle finissait la plupart des plats.

Ils parlèrent pendant plus d’une heure. La présence de cet homme avait sur elle un effet apaisant.

Mais il ne pouvait rester auprès de Susan toute la nuit. Il devait rentrer chez lui pour étudier les électro-encéphalogrammes, les radiographies et les analyses.

Il se leva.

— Ça va aller ? dit-il.

Voulant paraître courageuse à ses yeux, elle répondit :

— Ne vous en faites pas pour moi. N’oubliez pas que j’ai du cran.

Il sourit.

— L’effet du méthylphénidate ne va pas tarder à s’estomper. On vous donnera un somnifère plus puissant que d’habitude.

— Je croyais que je ne devais pas dormir ?

— Lorsque je vous l’ai dit, les circonstances étaient différentes. Et je veux que vous ayez un sommeil paisible.

Je ne veux pas avoir d’hallucinations quand je dors profondément, pensa Susan. Ainsi, je ne partirai pas en expédition dans la jungle de la folie où les lions et les tigres ne feraient de moi qu’une bouchée.

— Les infirmières passeront vous voir tous les quarts d’heure. Pour vous rappeler que vous n’êtes pas seule.

— Entendu.

— Et ne restez pas assise à vous morfondre. Regardez la télévision, occupez-vous l’esprit.

— Je le ferai, promit-elle.

Il lui donna un baiser plein de tendresse et de douceur.

Puis il sortit et elle se retrouva seule.

 

*

* *

 

Susan demeura tendue tout le reste de la soirée qui se déroula cependant sans le moindre incident. Elle regarda la télévision, mangea des chocolats que Jeff lui avait apportés. Deux infirmières, Tina Scolari et Beth Howe, passèrent la voir, et Susan fut surprise de découvrir qu’elle était capable de plaisanter avec elles.

Tout de suite après avoir pris le somnifère prescrit par Jeff, Susan eut besoin de se rendre au cabinet de toilette et regarda la porte close avec appréhension. Elle envisagea de sonner une infirmière pour demander un bassin, puis elle eut honte de sa peur. Qu’était devenue la détermination dont elle avait toujours été si fière ? Elle allait presser le bouton mais se ravisa. Enfin, aiguillonnée par les exigences de la nature plus que par son amour-propre, elle repoussa les couvertures, se leva et gagna le cabinet de toilette.

Elle ouvrit la porte.

Elle donna de la lumière.

Aucun mort-vivant. Pas la moindre tête tranchée.

Dieu soit loué, pensa-t-elle en soufflant. Elle entra et referma la porte. Les battements de son cœur redevinrent normaux.

Elle s’était lavé les mains et tirait une serviette en papier du distributeur mural quand son regard fut attiré par un objet brillant sur le sol.

Susan se pencha pour ramasser la chose.

Elle la fixa avec incrédulité.

Quelques heures plus tôt, elle avait désiré que les fantômes existent. Son vœu était exaucé.

Elle en avait la preuve, et c’était l’objet qu’elle venait de ramasser sur le sol. Une fine chaîne d’or et un pendentif. Le mezuzah de Jerry Stein. Celui qu’elle avait vu autour du cou déchiqueté de sa tête tranchée.